Les armées africaines passées au scanner par Abdoulaye BARRY

« Les armées nationales face aux défis sécuritaires. Quelles perspectives pour une meilleure adaptation et sortie de crise ? ». C’est sous ce thème que le cadre deux heures pour nous, deux heures pour Kamita a organisé une conférence animée par l’analyste politique Abdoulaye Barry. Cette conférence est organisée dans le cadre des activités de la célébration du nouvel an africain.

« L’un des plus grands stratèges du 20e siècle est un civil vietnamien qui n’a jamais fait une école de guerre et qui a défait les deux plus grandes armées à savoir la France et les Etats-Unis ». De par cet exemple, le conférencier se permet d’apporter un éclairage sur la situation sécuritaire du pays. Pour lui, la gravité de la situation sécuritaire que nous vivons, à l’image de l’Afghanistan et de l’Irak, doit nous amener à comprendre qu’on ne saurait confier la gestion de cette guerre aux seuls militaires. Que devons-nous comprendre par sécurité et défense ?

La sécurité recouvre le concept de la défense nationale selon les anglo-saxons. Dans la conception francophone, la sécurité diffère de la défense. La sécurité est dédiée aux paramilitaires chargés de maintenir l’ordre à l’intérieur du pays. La défense est, quant à elle, dédiée aux militaires. Cependant, Abdoulaye Barry rappelle qu’« Aujourd’hui, les menaces ne viennent plus de l’extérieur, mais de l’intérieur des Etats ». Dans ce contexte, la notion de sécurité a évolué on parle de sécurité humaine, alimentaire, économique, etc.). Tout en rappelant qu’il n’est pas là pour régler des comptes politiques avec le MPSR ou qui que ce soit, Abdoulaye Barry, devant des étudiants très attentifs a énuméré les acteurs impliqués dans cette crise que vit le Burkina Faso. Il s’agit essentiellement de:

  • Les acteurs transnationaux (GSIM, EI, etc.) qui luttent prétendument pour l’expansion de l’islam dans le monde et précisément dans le Sahel.
  • Les acteurs de la criminalité organisée qui profitent de la situation pour faire le trafic de drogue, de stupéfiants et des ressources minières.
  • Les mouvements insurrectionnels contre l’État à cause du déficit de la gouvernance et l’absence de l’État. Les actions de ces mouvements se manifestent par les violences intracommunautaires et intracommunautaires ; des règlements de compte au niveau local.
  • Les grands bandits (l’axe Ouaga-Bobo) qui agit sous le label terroriste. Pour être craint. Mais ils sont aussi appelés ainsi par les états pour attirer la compassion de la communauté internationale à des fins économiques et pour se dédouaner de leur incapacité à gérer la sécurité intérieure.

A partir des acteurs impliqués dans le terrorisme, il apparait que les germes du terrorisme ont été semés depuis l’avènement de l’État postcolonial. Avant de se prononcer sur cette responsabilité de l’Etat, Abdoulaye Barry rappelle, une fois de plus, ceci : « Je ne m’adresse pas au pouvoir en place, je ne suis pas là pour des règlements de compte politique, si je dois le faire, c’est ailleurs, mais je me dois d’analyser la situation avec recule ». Concernant cette responsabilité de l’Etat, il y a d’abord une déconnexion entre l’armée et la population. En effet, l’Etat central a toujours présenté l’armée comme une force répressive semant ainsi la crainte et la méfiance au sein de la population. Ensuite, l’État n’a pas analysé l’évolution du dividende démographique pour prévenir les potentielles crises en lien avec cette croissance démographique. En effet, le Burkina Faso, à l’image des autres pays du Sahel, est un pays d’élevage et d’agriculture où la transhumance est surtout pratiquée. Avec cette croissance de la population, il y a un rétrécissement des terres qui est source d’affrontement entre agriculteurs et éleveurs. Cependant, ces affrontements, au niveau local, sont aujourd’hui considérés comme des actes des groupes armés terroristes. En outre, les effets pervers de l’administration, à travers ses abus dans les villages, a contribué à exaspéré la crise sécuritaire ; avec l’affaissement de l’Etat, il y a des tendances de vengeance contre les agents de l’administration publique.

Les conséquences des actions terroristes sont désastreuses : fermeture des écoles et des centres de santé, pis encore, la disparition de l’Etat, avec leurs lots de déplacés internes. Personne ne peut vivre dans un État incertain.

La responsabilité de l’Etat se situe surtout au niveau de la catégorisation aveugle des terroristes. En effet, toutes les insuffisances dans la gestion de la sécurité intérieure du pays sont mises sur le dos des terroristes. En somme, l’Etat masque son incapacité à garantir la protection des biens et des marchandises sous le voile de l’insécurité. Aussi, faut-il le rappeler, certains sont devenus immensément riches grâce au terrorisme, qui ne veulent pas que la crise prenne fin. Cette faillite de l’Etat n’est pas le seul fait des gouvernements, il y a également la responsabilité des armées.

Diagnostic des armées africaines

Globalement, il existe des armées solides et expérimentées comme l’Égypte (12e rang mondial), l’Afrique du Sud, (26e rang mondial), le Maroc. Ces dernières années, le Tchad a démontré la bravoure de ses soldats sur les différents fronts au Sahel. Derrière ses armées exemplaires, il y a ces armées qui ont du mal à faire face aux bandes armées.  Cette débâcle des armées se termine généralement par des coups d’Etats. Or, pour Abdoulaye Barry, « Dans une vraie armée, il n’y a pas de coup d’État, l’armée peut prendre le pouvoir, mais pas faire un coup d’État ». Cependant, il y a des exceptions comme SANKARA et KOUNTCHE qui ont su maintenir la colonne institutionnelle de l’armée. Dans ces conditions, l’armée donne au peuple sa fierté comme cela a été le cas de 1983 à 1987 au Burkina Faso.

Le problème de notre armée, tient à son modèle, calqué sur celui colonial. Dans la plupart des armées de la région Ouest-africaine, il y a eu la politisation de l’armée et la militarisation de la politique. Parce que pour faire elle coup d’État, les militaires font une alliance avec des acteurs politiques civiles. La gouvernance des armées a été à l’image de la gouvernance politique. Une armée solide se construit à trois niveaux selon le conférencier Barry :

  1. Le niveau politico-stratégique qui définit la politique de défense de l’État, la doctrine et la stratégie. On n’a pas besoin de mettre un militaire à ce poste. Dans notre cas, il y a une inversion des normes.
  2. Le niveau opératif : il s’agit du commandement, de la hiérarchie
  3. Le niveau tactique, enfin, qui se traduit par les unités de combats sur le terrain

En faisant le parallèle avec nos armées, elles trainent un lot de manquement à plusieurs niveaux. Du manque de politique de défense et de planification dans les Etats aux problèmes d’entrainement et d’équipements, en passant par la corruption, l’armée Burkinabè sont désaxées et mal structurées. La collusion entre l’armée et la politique a créé une politisation de l’armée. La corruption de la hiérarchie a conduit à une démoralisation des équipes opérationnelles, car, « la plupart du temps, un militaire meurt pour son chef, pour un leader. Mais il ne meurt pas pour un corrompu, pour un ventru » selon Barry. Il est donc important de construire un leadership militaire rigoureux. Pour faire face à ces problèmes, Abdoulaye BARRY propose de

  • Redéfinir l’armée, sa doctrine et la menace en tenant compte du nouveau contexte
  • Mettre à l’abri le soldat au front de toute angoisse existentielle
  • Promouvoir les galons au front.
  • Renforcer les capacités opérationnelles de l’armée.
  • Renforcer les capacités des forces de sécurité intérieure (police, gendarmerie, forestier, PJ, etc).
  • Renforcer les capacités opérationnelles des forces spéciales.
  • Relever le défi de la gouvernance de qualité
  • Renforcer la nation

Six mois après la prise du pouvoir du MPSR, la situation est plus dramatique plus qu’hier.

Pour BAYALA Lianhoué Imotep, secrétaire général du cadre deux heures pour nous, deux heures pour Kamita, l’objectif a été atteint avec la communication de Abdoulaye Barry. Cet objectif était de faire le diagnostic de notre armée afin de se projeter vers des victoires futures. Mais pour cela, il faut un leadership de qualité au sein de la classe politique et de l’armée.

Kimbié Armel SOULAMA